Random Access Memories
Les mélomanes que nous sommes ne peuvent s'empêcher de continuer à parler de la musique de jeux vidéo dans cette nouvelle édition de la newsletter PSI.
Quoi de plus important pour faire un jeu que sa bande-son ? Beaucoup de choses. Son game design, level design, son bestiaire, les mécaniques de gameplay à disposition du joueur, son système de progression, son contenu, ses graphismes. La musique parait finalement tierce et n’occupe qu’un tout petit segment de la discussion dans les qualités et défauts d’un jeu.
Pourtant, c’est la musique qui reste avec nous plus que tout, longtemps après avoir fait l’expérience d’une œuvre. C’est facile de se rappeler d’elle. Elle constitue un souvenir plus permanent que quoi que ce soit d’autre dans le jeu.
Notre mémoire des niveaux et du scénario peut s’embrouiller, mais avec deux notes de musique, on est immédiatement replongés dans l’état d’esprit de nos expériences de jeu, jusqu’à se souvenir même de la pièce qu’on occupait et de la joie qu’on y ressentait.
L’effet madeleine de Proust de la musique fait que l’on peut évoquer et partager nos souvenirs avec éloquence. On s’intéresse donc, dans cette édition de notre newsletter, à des paysages musicaux vecteurs d’émotions dans nos œuvres vidéoludiques favorites.
Sommaire :
Disco Elysium : La plus petite église de Saint-Saëns (par Malik)
Super Mario Odyssey : Mario, n’oublie pas ta casquette ! (par Jérémy)
L’angoisse musicale des Silent Hill (par FX)
Le Roi Lion : La Grande Aventure de Simba, le déshonneur de sa tribu (par Florian)
Disco Elysium : La plus petite église de Saint-Saëns (par Malik)
Révachol, l’ancienne capitale du monde. Tout ce qu’il reste est le fantôme d’un empire rongé par la crise, la maladie et le conflit, des quartiers délabrés aux murs criblés de balles et aux visages mornes. Le disco est passé par là, portant avec lui les attentes d’un futur brillant tel une boule à facettes, mais l’espoir est vite retombé. Tout le monde se lève et part au boulot emmitouflé dans plusieurs couches de vêtements, respire une brise matinale si froide qu’elle irrite la gorge, et contemple une fin de mois rude.
De quoi rêvent-ils, les travailleurs de Révachol, ces miséreux qui parlent peu et qui noient leurs problèmes dans l’alcool ? La bande-son de Disco Elysium nous fournit une réponse qui n’est pas des plus réjouissantes. Pourtant, elle reflète un état d’esprit que certains parmi nous ressentent plus que d’autres, une conscience douce-amère que les meilleurs jours sont derrière soi.
Les sonorités de Disco Elysium, mêmes celles qui sont joyeuses, expriment la mélancolie d’un monde révolu. Ce n’est pas que tout était sans espoir, qu’il n’y avait pas de rêves, pas de lumière au bout du tunnel. Les révacholiens ont un jour été enfants. Ils ont joué dans le jardin de leurs parents avec leurs frères et sœurs, se sont imaginés chevaliers et princesses. Voyant les gyrophares d’un véhicule de police illuminer les flaques d’eau un jour de pluie, ils se sont vus justiciers, détectives, défenseurs de la veuve et de l’orphelin, quelqu’un qui ferait du monde un endroit meilleur. Comme nous, les révacholiens ont tous un jour connu une grande joie dans la simplicité de leur enfance, ébahis par le monde, bouleversés par sa grandeur, impatients de parcourir les routes et de découvrir leur destin sous les étoiles scintillant dans le ciel.
Puis, ils ont grandi, vieilli, se sont mariés, ont divorcé, ont travaillé, ont perdu leur vigueur. Maintenant, ils parcourent ce même monde qu’ils ont un jour contemplé les yeux scintillant d’espoir, cette Terre qui leur avait paru remplie de tant de possibilités, avec le regret de n’en avoir finalement rien fait. Regardant le jardin dans lequel ils ont passé leur enfance, ce terrain de jeu fantastique leur parait si petit, si vidé de sa magie d’antan.
La tragédie, c’est la facilité avec laquelle la mélancolie s’empare de nous lorsqu’on la laisse faire. Quand on ferme les yeux et qu’on repense à la douceur de nos rêves d’enfant, on s’aperçoit qu’ils ne se sont jamais concrétisés. Le futur dont on rêvait est déjà dans le rétroviseur. Quoi qu’on fasse, on ne récupèrera jamais tout ce potentiel que l’avenir nous réservait.
Du moins, c’est ce qu’exprime la ballade du flic le plus pitoyable de Révachol.
Super Mario Odyssey : Mario, n’oublie pas ta casquette ! (par Jérémy)
Rembobinons la cassette jusqu’en 2017… Il n’est pas forcément commun, pour ne pas dire qu’il est rare, qu’un titre paraisse l’année de son annonce. Nintendo a fait ce choix avec Super Mario Odyssey. Si les joueurs n’ont clairement pas eu le temps de bâtir des attentes aussi solides que pour Breath of the Wild (annoncé en 2014 pour une sortie en 2017, décidément la grande année de la Switch, qui plus est sa première !), Odyssey a tout fait pour aguicher un maximum d’entre nous.
Jump Up, Super Star : un trailer musical compact, viral et prometteur. Osons le dire… en 2025, la chorégraphie façon flash mob a pris quelques rides. Pour autant, le message clé de cette vidéo promotionnelle est distillé, ou plutôt torpillé, avec une grande efficacité. Le joueur comprend qu’il va bientôt découvrir un immense champ des possibles incarné dans un accessoire indissociable du plombier : sa casquette rouge. Bien disposé à déshabiller ses mèches brunes au gré des vents désertiques, des pluies tropicales et de la pollution « newdonkaise », Mario va s’amuser avec Cappy… et nous avec eux !
Au-delà des images, la musique de cette bande annonce contribue à sa réussite. L’élégance incarnée dans un New York revisité à la sauce Mario, Pauline nous entête avec son « Odyssey, ya see! Odyssey, ya see! Odyssey, ya see! ». Une fois le jeu entre les mains, je n’avais qu’une envie, ou disons deux pour être parfaitement honnête : profiter du nouveau « pouvoir » de Mario et danser pendant le concert de la maire et de sa bande de musicos, les Super Mario Players.
S’il fallait rétablir l’ordre dans New Donk City en débarrassant la ville de l’infâme Mechawiggler, je le ferais sans problème. Tout cela car j’étais déjà, et sans doute plus que Mario, la groupie d’un groupe de jazz fictif. Chapeau au compositeur Naoto Kubo et à l’interprète Kate Davis, vous avez marqué l’histoire vidéoludique d’un hit et d’un premier thème musical chanté dans cette série de jeux qu’on aime tant… !
L’angoisse musicale des Silent Hill (par FX)
La saga Silent Hill est une référence incontournable du survival horror à mes yeux, bien plus que Resident Evil. Son ambiance oppressante doit beaucoup à sa bande originale composée par le maestro Akira Yamaoka. Elle ne se contente pas d’accompagner l’action, elle crée l’angoisse, la peur viscérale et fait monter une tension palpable à tout moment.
Contrairement aux jeux d’horreurs classiques qui utilisent des violons stridents ou des crescendos, Silent Hill opte pour des textures sonores industrielles, des grincements, des bruits métalliques... L’objectif ? Nous mettre sous pression continuellement même dans les moments calmes. “My Heaven” de Silent Hill est un exemple parfait où les souffles fantomatiques et les sons mécaniques créent une atmosphère étouffante.
Le morceau qui m’aura le plus marqué est “Theme of Laura” de Silent Hill 2.
Dès les premières notes, on ressent une énergie particulière qui s’en dégage, on peut espérer un morceau rempli d’espoir. Mais ce sentiment ne dure pas, et le riff à 45 secondes refait sortir cette mélancolie qui vient aspirer tout espoir.
Laura est une fillette de huit ans qui se distingue par son absence de peur face aux horreurs de Silent Hill. Elle était proche de Mary, la femme décédée de James Sunderland, et représente une innocence contrastant avec la culpabilité et la souffrance du protagoniste.
Ce morceau dynamique, porté par une guitare acoustique captivante, apporte une touche émotionnelle unique. Mais de façon subtile, l’apport du violon et violoncelle (à environ 1m30 par exemple) amplifie ce sentiment renforçant nostalgie et tristesse.
La guitare domine la composition mais le violoncelle, avec son timbre grave et chaleureux, accompagne les moments les plus pesants, alors que le violon intervient pour apporter sa touche plus dramatique et expressive. Ce mélange d’instruments à cordes joue un rôle crucial dans l’équilibre entre énergie, espoir et tragédie. À travers cette musique, Yamaoka juxtapose une mélodie entraînante à la lourdeur psychologique de l’intrigue.
Et si on imaginait des paroles pour accentuer cette dualité entre espoir et mélancolie :
Des pas légers sur le sol froid,
Un rire s’efface dans le brouillard.
Petite ombre qui court sans voix,
Perdue dans un rêve sans départ.
Tu danses entre les murs fissurés,
Comme si le monde n’était qu’un jeu.
Mais vois-tu les cendres tomber?
Les fantômes qui marchent derrière nous ?
Laura, où es-tu ?
Un murmure, une lueur, puis plus rien.
Laura, qui es-tu ?
Une illusion, un espoir, une vie.
Des lettres pleines de souvenirs,
Des mots trop grands pour un sourire.
Tu dis qu’elle t’attend là-haut,
Mais les anges dorment sous la peau.
La route s’efface sous la brume,
Les âmes perdues traînent leur costume.
Mais toi, petite fille qui marche insouciante,
Comme si la peur n’existait pas…
Laura, où es-tu?
Un murmure, une lueur, puis plus rien.
Laura, qui es-tu?
Ou juste un écho qui s’éteint…
Le Roi Lion : La Grande Aventure de Simba, le déshonneur de sa tribu (par Florian)
Quand on pense à des musiques qui nous ont marqué, on a directement tendance à penser à celles qui sont issues des grands jeux. Logique implacable puisque nos meilleurs souvenirs se forgent dans nos meilleures expériences, et c’est, au départ, ce que je pensais faire aussi. Mon premier choix s’est tourné vers les musiques de Golden Sun, l’une des meilleures et des plus personnelles compositions de Motoi Sakuraba, connu notamment pour son travail sur la série Tales of, et la trilogie des Souls. Personnel dans le sens acoustique du terme, Sakuraba étant, comme moi, un grand fan de rock progressif.
Mon second choix s’est tourné vers Monster Hunter, dont la série signe son retour dans quelques jours au moment où j’écris ces lignes. J’aurais pu m’étendre sur l’un des affrontements les plus épiques et les plus importants de World, ou me laisser bercer par la nostalgie du village de Pokke.
Mais à la place, je vais vous parler d’un jeu assez médiocre. Un jeu à licence sorti sur Playstation pour capitaliser sur le succès d'une duologie de film qui, elle aussi, aura bercé mon enfance : Le Roi Lion. J’étais, et je suis toujours d’ailleurs, un grand fan du Roi Lion. Mais ce n’est que récemment, au-delà des pitreries de Timon et Pumba et des musiques enivrantes (dont l’une gagnera un Oscar en 1994), que j’ai saisi toute la profondeur du film.
Le Roi Lion : La Grande Aventure de Simba reprend donc dans les grandes lignes les péripéties de ce dernier dans un jeu de plateforme mal inspiré de Crash Bandicoot. Et si vous vous rappelez de ce jeu, c’est bien normal. Car c’est lui qui, il y a une dizaine d'années, a été catégorisé comme “jeu à patoune” chez Joueur du Grenier. Et c’est malheureusement tout ce que l’on peut en retenir, ou presque. Ce presque prend la forme de mini-jeux d’une inspiration débordante comme un Memory, ou bien comme le mini-jeu des poissons de Jak and Daxter : The Precursor Legacy, mais en moins bien, et où les poissons sont des insectes.
Mais il y a aussi un jeu de Kung-fu avec Rafiki où le but est simple : frapper les Hyènes avant qu’elles ne nous frappent. Sans trop savoir pourquoi, je trouvais que ce jeu était le plus sympa à faire. Mais c’était aussi l’un des plus pénibles à déverrouiller puisqu’il fallait aller assez loin dans l’aventure pour le débloquer. Fort heureusement, le jeu est très court -à peine deux heures- mais pour le Florian qui ne savait pas comment fonctionnaient les cartes mémoires de l’époque, c’était à chaque fois le même recommencement. Mais la récompense était belle pour lui puisqu’il pouvait jouer à son mini-jeu préféré et écouter sa musique préférée.
Car je pense qu’il s’agit d’un de mes premiers coups de cœur musicaux dans le jeu vidéo (avec Palm Bay Heights de Burnout 2). Objectivement un très mauvais choix puisqu’il ne s’agit que d’une boucle de dix secondes qui est en réalité la reprise de celle du menu du jeu !! À un détail près : les voix étaient moins présentes. Et je pense, sans trop dire de bêtises, que c’était le seul endroit où il était possible d’écouter cette version. Jusqu’à ce que Rafiki lance des “Yahahaha” ou des “Ouuuuyyaaahh!!” à peine, à peine, exagérés.
Il n’y a pas à dire : Burnout 2, c’était quand même mieux.